Monza, Spa-Francorchamps, Bathurst… Des noms qui résonnent comme des rêves pour les passionnés de sport automobile. Si ces circuits mythiques existent aujourd’hui, c’est grâce à la volonté d’un couple passionné d’automobile qui décida d’installer sur ses terres le premier circuit automobile du monde.


Brooklands, septembre 1906. Dans ce coin de campagne anglaise se tient une réunion qui changera à jamais le visage du sport automobile. Le propriétaire des lieux, Hugh Locke King, a convoqué toute une sélection d’experts en automobile autour de sa table. Il revient d’Italie où il a assisté à la Targa Florio, une nouvelle course sicilienne. Comme à chaque fois qu’il se rend à une course automobile sur le continent, il se désole de n’y voir aucune voiture anglaise, ni aucun concurrent anglais sérieux.

D’après lui, la raison en est simple. Alors que les Italiens, les Allemands ou les Français peuvent concourir sur les routes publiques avec l’aval total des autorités, les Britanniques eux sont bloqués par le Motor Act de 1903, restreignant la vitesse autorisée des véhicules sur route à 20 miles par heure (32 km/h). Impossible de développer des voitures rapides dans de telles conditions.

La solution apparaît alors : créer un circuit fermé où l’on pourrait conduire à sa guise et développer des voitures pour rivaliser avec les autres nations européennes. Les pilotes présents font leurs suggestions. A la fin de la réunion, la décision est prise : Hugh et sa femme Ethel vont construire à leurs frais ce projet révolutionnaire.

Les époux Locke King

La genèse

Les époux sont enthousiastes à l’idée de construire le premier circuit dédié à l’automobile. Mariés depuis 1884, ils sont déjà entrepreneurs. En effet, pendant leur voyage de noce en Egypte, ils tombent sous le charme d’une grande demeure qu’ils transforment en hôtel de luxe. Le Mena House Hotel reçoit les plus grands de ce monde, de Winston Churchill à Charlie Chaplin en passant par Agatha Christie. Il est à ce jour toujours en activité.

En Angleterre, ils s’installent au domaine de Brooklands, dans le Surrey, à une cinquantaine de kilomètres au Sud-Ouest de Londres. Hugh l’a reçu comme héritage à la mort de son père, le baron Peter Locke King, qui l’avait lui-même acheté en 1820 au duc d’York pour un montant de 28 000 livres (environ 2,5 millions d’euros en valeur actuelle).

Ils vivent de la rente de leurs terres et voyagent beaucoup dans le sud de l’Europe, où le climat est favorable à la santé fragile de Hugh. C’est là que le couple assiste en 1901 au Grand Prix automobile de Pau et que l'absence de concurrents britanniques les frappe.

Hugh est un grand fan de technologie. Il fait installer l’électricité très tôt dans le domaine et aime les voitures sans pour autant être un grand conducteur. En effet dans le couple, c’est Ethel qui tient le volant. Elle aime conduire et va elle-même à Turin en 1906 pour ramener sa nouvelle Itala 24/48 hp, surnommée “Bambo”. Le couple aura plus d’une demi-douzaine de voitures, toutes avec un surnom.  

La collection de voitures des époux Locke King

Le couple, sans enfants, mettra toute son énergie dans ce projet dédié à l’automobile. Quand se pose la question du lieu, la réponse vient naturellement. Il y a sur le domaine de Brooklands de nombreuses terres inexploitables, tantôt prairies plates et marécageuses, tantôt collines couvertes de pins et pleines de lapins. Selon eux, l’endroit parfait pour installer une piste automobile.

Un chantier pharaonique

Il faut donc construire un circuit. Mais voilà, cela n’a jamais été fait, il n’y a aucun modèle à suivre. Le Colonel Holden, ingénieur royal, est appelé pour le dessin du circuit. Hugh est persuadé qu’il faut plus qu’une simple route. Pour atteindre de grandes vitesses, il faut que les voitures n’aient pas à ralentir en tournant au bout des lignes droites. Ils décident alors de faire des virages relevés, culminant à presque neuf mètres de haut. L’autre impératif est de permettre une grande visibilité aux spectateurs, car ils veulent attirer le plus de monde possible pour assister à cette nouveauté sportive.

Les virages relevés pour ne pas perdre de vitesse

Le colonel délivre ses plans en un temps record, moins d'un mois. En octobre 1906, la construction commence sous la direction de l’ingénieur ferroviaire Donaldson. Sur un rayon de cinq kilomètres, 300 travailleurs nettoient le terrain et coupent les arbres. En décembre, ils sont 600 à travailler sur le site, accompagnés d’une douzaine d’engins à vapeur permettant de creuser rapidement. Des centaines de wagons remplis de craie sont acheminés afin de monter les virages relevés.

Les travaux du circuit - mise en place des virages surélevés

Mais voilà, tout cela a un coût. Le stress des travaux aggrave la santé déjà fragile de Hugh. En décembre, il confie le développement du circuit à Ethel, lui faisant confiance pour mener à bien ces travaux. La situation financière est telle qu’elle se retrouve face à un dilemme : doit-elle arrêter là le projet et perdre tout ce qui a été investi, ou dépenser encore plus pour aller au bout, en pariant de l’argent qu’ils n’ont pas.

Ils sont au bord de la banqueroute, mais elle décide de continuer tout de même. Sa famille vient à la rescousse et prête les fonds nécessaires pour payer les dettes des travaux. Son frère est un soutien précieux. Il les aide d’abord à vendre des parcelles, puis vend sa propre maison de Kensington pour investir dans le projet.

Les travaux peuvent continuer. Un pont à sept arches en ferrociment (l’ancêtre du béton armé) est élevé, permettant au circuit de parcourir la vallée. En mars, après les dernières gelées de l’hiver, on s’attaque à la piste. Ce sont d’abord quinze centimètres de gravier qui sont posés, avant d’être recouverts par du béton. Un immense paddock est ensuite construit, avec un grand Club House, des dizaines de box et 5000 sièges pour permettre aux spectateurs d’assister confortablement aux courses.

Plan du circuit sous sa forme de 1938 (ajout du circuit Campbell et de l'aérodrome)

En tout juste huit mois, ce projet pharaonique est réalisé. Au total, ce sont douze hectares de forêt nettoyés, plus de 250 000 mètres cubes de terre déplacés et une rivière détournée par deux fois.


Bientôt, des voitures rouleront sur ce circuit, ouvrant une nouvelle page de l’histoire  l’automobile.


Retrouvez ici la suite de l'histoire du circuit avec des courses, des records et l'installation d'une nouvelle activité.